La photographie de Lincoln à Truman - 18/20
La photographie aux Etats-Unis de Lincoln à Truman
Classe : Khâgne moderne
Matière : histoire
Note obtenue : 18/20
Année : 2013-2014
Devoir Maison
Commentaire général du professeur :
Excellent travail, très soigné, tant dans la forme matérielle que dans la démarche intellectuelle.
Un manque : la photographie de presse n’est pas étudiée, dommage.
« Toutes les photos sont exactes, aucune n’est la vérité ». Cet adage du portraitiste Richard Avedon souligne un problème inhérent au travail de l’historien lorsqu’il étudie l’histoire à travers la photographie. En effet, en soi-même une photo est exacte, c’est-à-dire que la photographie en tant que photographie fait partie de l’histoire. Mais l’événement que fige l’appareil photographique n’est qu’un instant, un simple instant, qui en outre peut être mis en scène, truqué ou simplement faux pour ensuite se matérialiser sur la pellicule. Une photographie doit donc être étudiée et interprétée avec la plus grande prudence pour être utile à l’historien. C’est à la fois un matériau d’une grande valeur historique mais qui peut aussi induire en erreurs. Faussement vraie et exactement fausse.
Etudier la photographie de Lincoln à Truman aux Etats-Unis est un travail dense mais non pas moins intéressant. En effet, la photographie apparaît aux alentours de la guerre de Sécession et ne cessera alors d’évoluer. L’élection de Truman en 1947 ne marque bien sûr pas la fin du progrès dans le domaine mais elle pose un jalon dans la chronologie des évolutions techniques. La photographie est donc un sujet d’étude très riche. L’époque que nous nous proposons d’étudier inclut trois grandes guerres (guerre de sécession, première guerre mondiale, seconde guerre mondiale), de grandes conquêtes (conquête de l’Ouest) et de grandes évolutions (naissance du capitalisme, de la mondialisation etc.). Sans chercher l’exhaustivité, nous nous concentrerons sur la place de la photographie dans la société états-unienne. Comment est-elle perçue ? Comment considère-t-on la photographie à cette vaste époque ? Le simple terme « photographie » sous-entend de multiples questions.
L’appareil photographique n’a cessé de se perfectionner durant cette période qui s’étend de 1861 à 1947. Faut-il considérer cet étrange objet technique comme un simple enregistreur d’image au service de la mémoire ou bien doit-on l’apprécier comme l’intermédiaire d’une nouvelle forme d’expression artistique ? Le photographe est-il photojournaliste ou artiste ? En réalité, il peut endosser les deux rôles selon le besoin. La photographie est avant tout un métier ; à cette époque, tout le monde n’était pas un producteur d’image potentiel comme aujourd’hui. Le rôle du photographe était donc multiple, tout comme son influence dans la société. Ainsi quel a été l’impact du photographe et de son art sur la société et comment ont-ils évolué de Lincoln à Truman ?
Nous étudierons tout d’abord le traitement de l’image pendant la guerre puis nous analyserons le rapport entre la photographie et la société pour terminer par l’étude de la photographie en tant qu’art. Le photographe est ainsi selon les périodes un médiateur « objectif » de l’histoire, un acteur social et sociétal ou encore un artiste dont l’appareil photographique est le moyen d’expression.
Prof : Problématique très bien posée et intéressante, mais… complexe, ambitieuse.
I) Le traitement de la guerre par les photographes
A) La guerre civile : prise de conscience du pouvoir de l’image
Si la technique de la photographie – plus précisément de la chambre noire – est connue depuis Aristote, il faut attendre le XIXème siècle pour qu’apparaissent les premiers appareils photographiques. La guerre de sécession qui éclate en 1861 coïncide alors avec l’émergence de la photographie. Il s’agit de la première guerre américaine mise en image. Des personnalités comme Brady ou Gardner ont bien saisi l’intérêt à la fois économique et historique de figer l’histoire.
Premier photoreporter de guerre, Mathew B. Brady s’entoure d’une équipe de photographes afin de saisir le conflit sous tous les angles. Ses photos se voient adaptées ou publiées comme gravures dans les journaux. Loin d’imaginer l’impact de telles images sur la population, les clichés ne souffrent alors d’aucune censure de la part des autorités. C’est ainsi qu’en 1862 Brady choque l’Amérique en publiant des clichés sanglants de la guerre, notamment des photographies de cadavres gisant sur le champ de bataille d’Antietam. Le New York Times titrera d’ailleurs dans ses colonnes : « Brady a apporté aux pays la preuve épouvantable des réalités de la guerre ».
Fort d’une telle médiatisation, il espère vendre des milliers de photographies après la guerre, mais les Américains veulent l’oublier et le photographe ne vend quasiment rien. Il faudra attendre 1911 pour qu’apparaisse un album intitulé : « Histoire Photographique de la Guerre Civile ». Ce sont quelque 3500 clichés appartenant à Brady qui composent cette photothèque. Si l’impact sur les populations fut d’ordre psychologique, les autorités ne virent pas les clichés d’un même œil. En effet, après ces publications, plus aucun président n’osera se lancer dans une guerre sans de solides raisons, les populations ayant maintenant leur mot à dire. Causalité à moduler
Gardner n’arrangea pas les choses en publiant dès 1866 un ouvrage en deux volumes intitulé : Gardner’s Photographic Sketch Book of the Civil War. En rivalité avec Brady, il possède lui aussi une grande équipe de photographes durant la guerre : Timothy O’Sullivan, James F. Gibson, John Reekie, William R. Pywell, John Wood, George N. Barnard, David Knox, David Woodburry pour ne citer qu’eux… Intérêt ! Gardner, pour obtenir un effet plus dramatique, truqua plusieurs de ses clichés en déplaçant un cadavre ou une arme par exemple. Tout comme Brady, il avait bien saisi l’enjeu historique et économique d’une photographie réussie et saisissante.
L’image devient donc un enjeu crucial au cours de la guerre civile. Les photographes comme les autorités prennent conscience du pouvoir qu’implique une telle responsabilité. Non désireux de répéter les erreurs de communication quant à la guerre civile, les Etats-Unis réserveront alors un traitement de l’image bien différent lors de la première guerre mondiale.
B) La première guerre mondiale et son rapport stratégique à la photographie
Entre la fin de la guerre de sécession en 1865 et l’implication américaine dans la première guerre mondiale en 1917, la photographie s’est démocratisée. De plus en plus de monde photographie. Les photographes sont alors censurés ou au service de la propagande américaine. Seules les photographies amateurs échappent à cette régulation du fait qu’elles ne sortiront jamais de la sphère privée. Quoiqu’il en soit, l’on a bien conscience de l’intérêt politique et militaire de la photographie.
Lorsque les forces états-uniennes interviennent dans le conflit après la déclaration de guerre de Wilson, les opérateurs français de la SPCA (Section Photographique et Cinématographique de l’Armée) prennent en photo les soldats. En tout, ce sont 3378 clichés sur les Etats-Unis qui seront archivés par l’organisme. Les opérateurs de la SPCA suivent nombreuses offensives américaines comme celles du 18 mai 1918 dans le village de Cantigny (Somme). Honorés par les photographes français, les autorités américaines ne s’inquiètent guère de l’image de leurs soldats dans les journaux outre-Atlantique.
En revanche, elles exercent une forte censure sur les photographies transitant vers l’Amérique. Si certaines censures apparaissent logiques à l’instar des photographies révélant un prototype militaire, d’autres sont révélatrices d’une mentalité américaine enracinée dans le passé. Par exemple, cette photo d’un soldat noir avec des fleurs qui lui ont été offertes par des femmes françaises venant d’être libérées en partie grâce à lui. Une censure révélatrice de la ségrégation qui existe encore à cette époque. Ou encore cette image montrant des soldats américains, chope de bière à la main, alors que l’alcool était formellement interdit. Par la censure des images, le gouvernement américain contrôle donc les mentalités de son époque, réduisant à néant la possible influence du photographe.
Parmi les photographies autorisées, on retiendra surtout celles de Laurence Stallings, récompensé par le Congrès de la Silver Star (médaille honorifique) : écrivain, dramaturge et scénariste en plus d’être auteur d’un album photo sur la première guerre mondiale. Photographe américain également, Steichen passa outre la censure avec ses clichés de guerre appartenant à la « Straight Photography », il commande alors la division photographique des forces expéditionnaires américaines.
Le domaine de la photo est donc entièrement régulé lors de la première guerre mondiale et il existe en outre un aspect purement stratégique de la photographie. Car en plus des intérêts politiques, la photographie peut servir à des fins militaires. A ce titre, le gouvernement américain censura d’ailleurs le portrait d’une domestique d’origine allemande qui se fit prendre en photo afin de faire passer un message secret, caché dans la forme du lacet de sa robe. Mais sur le front, la photographie allait de pair avec l’aviation. Lorsqu’ils débarquent en France, les Américains sont mis au courant par Eugène Pépin de la méthodologie d’interprétation des clichés aériens. Car lors de la première guerre mondiale, les Français se sont montrés experts en photographie aérienne. Ce partage du savoir-faire à propos du renseignement photographique, que l’on doit à l’origine à Paul Louis Weiller, préfigure les innovations qui ont ponctué tout le XXème siècle en termes d’aviations. Des avions-espions américains U-2 jusqu’aux satellites et actuels drones.
C’est toute une nouvelle manière d’appréhender la photographie qui émerge durant la guerre. Sa démocratisation lui a valu une certaine censure tout en autorisant, grâce aux progrès techniques, une reconversion dans le domaine militaire. Quoiqu’il en soit, en temps de guerre, le photographe n’est généralement plus maître de ses images. En est-il autant pour la seconde guerre mondiale ?
C) La seconde guerre mondiale : la photographie du front en second plan
Le traitement réservé aux photographies américaines de la seconde guerre mondiale est schématiquement le même que celui de la première guerre mondiale. Toutefois, cela se fait à un degré différent. La censure est plus grande et la propagande plus virulente. La photographie, plus que jamais, s’inscrit dans des logiques politiques et militaires. Pourtant, en dépit de la démocratisation toujours plus grande de l’appareil photo, force est de constater que c’est l’arrière-pays qui suscite l’intérêt des photographes américains. Ce qui n’empêche pas l’existence de quelques photographes célèbres couvrant le front. Mais nous verrons ailleurs l’importance des photographes de l’arrière-pays. Il s’agit ici d’étudier le traitement réservé à l’image afin de voir en filigrane son influence.
La seconde guerre mondiale retiendra surtout de la photographie des clichés de renommée internationale. Des clichés souvent détournés au service de la propagande. Durant la seconde guerre mondiale, le gouvernement américain exploite en effet tous les médias possibles pour contrôler l’opinion : dessins caricaturaux, affiches de propagande, films, publicités etc. Outre les photos réalisées volontairement pour la propagande, on peut citer la photo Raising the Flag on Iwo Jima (en français, « Elévation du drapeau sur Iwo Jima ») du photographe américain Joe Rosenthal. Il s’agit à ce jour du seul cliché ayant obtenu le prix Pulitzer de la photographie l’année de sa publication. Elle constitue également l’une des photographies les plus diffusées de tous les temps. Felix de Weldon s’en inspirera pour la sculpture du USMC War Memorial situé non loin du cimetière national d’Arlington, près de Washington DC. Symbole de l’impérialisme américain, la photo témoigne du pouvoir des images. D’autres photos, à un degré moindre, connurent une certaine popularité, comme le cliché intitulé V-J Day in Times Square (célèbre photographie prise par Alfred Eisenstadt) ou encore le cliché de l’Elbe Day.
A l’opposé de la propagande, on trouve donc la censure. Durant la guerre se constitue l’Office of Censorship. Le photoreporter Jimmy Hare dira : « Les photographies semblent être la seule chose qui inquiètent vraiment le département de la guerre. » Que censure-t-on ? Les mêmes clichés que la première guerre mondiale, à peu de choses près. Pas de morts, pas de cadavres, pas de scènes jugées trop violentes…
Cette censure n’empêcha pas à certains photographes d’acquérir une renommée nationale (si ce n’est internationale) à l’instar de Robert Capa, Alfred Palmer ou Alfred Eisenstadt pour ne citer qu’eux. Le seconde se vit d’ailleurs honoré par le Prix Alfred-Eisenstadt pour ses images de la guerre ; prix décerné en son honneur par le magazine Life et l’Université Columbia.
La seconde guerre mondiale connaît donc le même système de censure ou de propagande que la première guerre mondiale. Plus que jamais, la photographie est au service de l’impérialisme américain Pendant la guerre ? et des stratégies politiques et militaires. Malgré le nombre restreint de photographes américains populaires durant cette période, les quelques célèbres clichés publiés ont vite été détourné à des fins de propagande. Les images sont donc sous contrôle et au service du gouvernement. Mais ce qui différencie réellement la seconde guerre mondiale de la première, c’est la photographie de l’arrière-pays que nous étudierons plus tard.
La photographie fige donc bel et bien l’histoire. Mais si pendant la guerre de sécession, il n’y avait presqu’aucun contrôle des publications, les politiques, qui prirent vite conscience de l’enjeu des images, imposèrent rapidement une régulation puis une censure lors des guerres. Les photographes se retrouvèrent alors contraints d’accepter cette restriction et virent leur art au service de stratégies politiques et/ou militaires. Si bien que les clichés populaires de la guerre de sécession sont en tout point différent des clichés populaires de la seconde guerre mondiale. L’influence existe mais elle est différente et ne dépend pas souvent du photographe. En dehors du « feu de l’action » de ces grandes guerres, comment considère-t-on la photographie d’un point de vue social et sociétal ?
II) L’influence réciproque de la photographie sur la société
A) La photographie sociale
En faisant de son art, un art engagé, le photographe peut avoir une réelle influence sur les mentalités de son époque. S’il est difficile pour celui qui valorise un soldat noir durant la guerre de voir son cliché un jour publié, le photographe d’avant la guerre peut aisément mettre son talent au service des minorités.
Jacob Riis l’a bien compris comme en témoigne la publication en 1890 de son album photo « Comment vit l’autre moitié ? », qui révèle les conditions de vie déplorables des familles d’immigrants à New-York. Ce faisant, il marque le début de la photographie sociale aux Etats-Unis : l’enfant pauvre est son sujet de prédilection. Projetées au cours de conférence et reproduites dans les journaux, ses photographies contribueront à changer les mentalités. L’innocence de l’enfant est désormais perçue par la société.
Durant la guerre, certains photographes profitent du nouveau rôle des femmes pour les mettre en avant et changer les mentalités à leur égard. Alfred T. Palmer, photographe officiel de l’Office of War Information (OWI) décide ainsi de mettre la photographie au service d’une discrimination positive. Il photographie les femmes qui remplacent les hommes dans l’industrie. Avec l’apparition de la photo couleur, son projet fonctionne puisqu’il parvient à faire d’une ouvrière un véritable symbole : Rosie la riveteuse (Rosie the Riveter) devient ainsi métonymie des six millions de femmes engagées dans l’arrière-pays. Il photographie de nombreuses Rosies, qui seront ensuite reprises pour des affiches de propagande, en faveur des femmes, véritables patriotes travailleuses engagées. Palmer photographie également les noirs, les blessés, l’industrie, les immeubles, les fermes, les gens du quotidien etc. Son talent lui a valu de remporter quelque 150 expositions dans le monde. Toute une photothèque de l’arrière-pays se constitue, loin des agitations du front. Ces photographies sont de véritables bulles d’air en temps de guerre, d’où leur succès.
Les photographes peuvent donc mettre en avant les minorités par leur art. Leur rôle s’avère de ce fait essentiel dans la mesure où ils peuvent faire évoluer les mentalités. Que ce soit à propos de la situation des immigrés, des femmes ou des noirs, les photographes s’attaquent à des sujets sociaux d’envergure. Mais si la photographie peut apporter à la société, qu’apporte la société à la photographie ?
B) Démocratisation de l’appareil photo
Quelles furent les conséquences de la démocratisation de l’appareil photo au sein des Etats-Unis ? Force est de constater que l’appareil photo a souvent été une curiosité chez bon nombre de photographes amateurs. Mais les clichés qui en résultent sont loin d’être inintéressants puisqu’ils complètent les informations que l’on peut tirer d’autres sources sur une époque. Anecdotiques en leur temps, ils constituent un riche matériau pour l’historien d’aujourd’hui.
La démocratisation de l’appareil photo est intimement liée aux innovations techniques. Kodak prit ainsi un tour d’avance en commercialisant les premiers appareils photo à pellicule photographique et non plus à plaque en 1888. « Vous pressez le bouton, nous faisons le reste » clame le premier slogan de la marque. Kodak parvint également à fabriquer des appareils photo peu chers comme le Brownie, 1$ en moyenne avec une pellicule coutant 15 cents, simple d’utilisation en plus de ça.
Cette démocratisation permit à de nombreux photographes plus ou moins amateurs d’immortaliser les scènes de la vie quotidienne. Ainsi, les archives dont nous disposons sur la société américaine sont variées. Photo des territoires de l’Ouest, du transcontinental, de la période de la reconstruction, du « Gilded age », portraits d’hommes politiques, scènes de la vie quotidienne, photos de vacances, photo des objets techniques, des immeubles, des gratte-ciel, de rues, de villes, d’animaux etc. A n’importe quelle période, cette immense photothèque donne une réelle vue d’ensemble de l’Amérique du nord.
En 2010, Ossian Brown publie un livre intitulé Haunted Air. Préfacé par David Lynch, il s’agit en fait d’une collection de clichés anonymes de 1875 à 1955 et qui nous plonge dans l’ambiance d’Halloween de l’époque. Certaines photos aux teintes sépia mettant en scène des enfants ou des familles qui portent d’effrayants costumes font encore frémir. La photographie touche ici à un fait de culture, à de l’anecdotique qui reste néanmoins très intéressant à étudier. Leur influence est finalement nulle sur la société de leur époque, mais ces clichés ont une valeur aux yeux de l’histoire. Car ils ne nous montrent pas seulement des gens qui fêtent Halloween mais aussi que la photographie se démocratise de plus en plus.
Cette démocratisation participe à compléter l’immense photothèque du pays. Si bien qu’un tri semble nécessaire. Dès lors, la démocratisation s’accompagne nécessairement de l’institutionnalisation.
C) Institutionnalisation et popularisation
Qu’appelons-nous institutionnalisation de la photographie ? Tout simplement l’organisation du monde de la photographie en organismes, en communautés, en offices ? etc. En un sens, il s’agit d’anoblir la photographie. Si les musées sont catalyseurs de cet objectif, ils n’initialisent pas pour autant le processus.
Ainsi, la photographie est d’abord le fait d’acteurs individuels. Alfred Stieglitz, photographe reconnu, aida beaucoup à institutionnaliser la photographie. En 1905, il ouvre la première galerie photographique au monde, à New-York (la galerie 291). En 1923, Fine Arts espère un don de ses œuvres : une première car jusqu’alors, aucun musée n’exposait de photographie. En 1924, il offre 27 photos au Metropolitan Museum of Art (MOMA). C’est la première fois qu’un photographe fait un don à un musée. Il reçoit la même année la médaille du progrès de la Royal Photographic Society. C’est l’action de tels photographes qui catalyse l’institutionnalisation de la photographie.
Relayé dans sa démarche par des institutions reconnues comme le MOMA, la photographie s’officialise. Ouvert depuis 1872, le musée accueillera successivement et à partir de 1926 les photographies de Stieglitz, Steichen et Walker Evans. Très populaire, il relance sans cesse l’intérêt des visiteurs pour la photographie par de nouvelles expositions. Il faut toutefois attendre 1940 pour que le musée ouvre un département photographie.
Certaines institutions se veulent plus spécialisées. Ainsi, le département photographique de la Farm Security Administration, créé par le ministère de l’agriculture en 1937, devait dresser un bilan objectif des conditions de vie des fermiers lors de la grande dépression. En réalité, on choisit les photographes pour leur engagement politique, l’objectif étant de convaincre l’Amérique de l’utilité des réformes de Roosevelt. Ce sont plusieurs dizaines de photographes qui assurent l’existence du département. Certains portraits comme la Mère migrante de Dorothea Lange marqueront les esprits. En temps de guerre, la branche photo de l’United States Office of War Information (OWI) s’occupe de la gestion des images.
Si le MOMA fait de la photographie un art populaire et que les diverses institutions archivent thématiquement les photographies, il reste encore un nombre important de clichés sans domicile fixe. La bibliothèque du Congrès, instituée en 1800, remédiera au problème, en archivant plusieurs millions d’images.
Plus spécialisé, la George Eastman House située à Rochester aux Etats-Unis et ouverte au public en 1949, est le plus ancien musée de la photographie du monde. Il présente au public l’histoire de la photographie et du cinéma ; ce qui a pour effet de populariser également le monde de la photographie. Le musée abrite environ 400 000 photographies et négatifs.
L’institutionnalisation de la photographie par le biais de musées, de la popularité de certains photographes, de centres d’archives etc. participe donc à faire de la photographie un art accessible. Il y a donc une évolution parallèle entre l’appareil photo qui se démocratise et les photographes hors du lot dont l’art devient de plus en plus accessible. Cette évolution fait de la photo, un art de plus en plus « populaire ».
Le sort réservé à l’image suit donc une courbe assez linéaire avec des fluctuations en période de guerre. En effet, si les photographies de guerre tendent à être régulées, voire censurées, le gouvernement américain n’interdit pas pour autant l’accès aux images. La démocratisation de l’appareil photo a donc inévitablement conduit à la multiplication des clichés. De ce constat, il a été jugé utile d’archiver cette photothèque et de ne populariser qu’un certain type de photo par l’intermédiaire des musées ou des institutions. Mais à défaut d’être utile pour l’histoire, pour la société ou pour la mémoire, il existe une photographie dont le seul souci est d’ordre esthétique.
III) Photographie et art
A) Courants photographiques aux Etats-Unis
Il faut attendre la fin du XIXème siècle pour qu’apparaisse le « mouvement international d’art photographique » qu’est le pictorialisme. Cette manière de concevoir la photographie est notamment dû à une technique nouvelle : le procédé à plaque sèche ou gélatino-bromure d’argent. Les pictorialistes sont les premiers à s’intéresser davantage aux effets esthétiques qu’à l’acte photographique en lui-même. Pour ces artistes, le pictorialisme doit simuler la peinture et l’eau-forte. Ils ne cherchent pas un rendu objectif, mais au contraire à exprimer une intention artistique subjective. Ils aideront grandement à faire entrer la photographie dans le domaine des arts. Cette approche esthétique nouvelle ouvre la voie aux mouvements futurs. Parmi les pictorialistes américains célèbres on retiendra surtout les noms de Gertrude Käsebier, Steichen et Stieglitz.
Stieglitz ne restera pas pictorialiste longtemps puisqu’il crée au début du XXème siècle le mouvement Photo-Secession. Le virage est rude : Stieglitz revient à la photographie originelle en soutenant l’idée que la photographie ne doit subir aucune altération optique. Il faut « éliminer le sujet et rechercher la pure expression de l’objet comme tel ». A l’inverse des pictorialistes qui recherchaient une sorte de « réalité seconde », les membres de Photo-Secession sont en quête d’une pure objectivité : un maximum de détails avec un minimum de signification.
Mais dès 1915-1916, une nouvelle manière d’appréhender la photographie apparaît. Paul Strand inaugure ainsi un nouvel âge photographique en produisant une série de natures mortes (Pot et fruits, Orange et bols par exemple). De forts contrastes, des traits nets et des plans rapprochés audacieux caractérisent sa photographie. Suite à cela se développe la Straight Photography ou photographie pure aussi appelée Nouvelle Objectivité. On cherche alors avant tout la netteté de l’enregistrement, la précision du détail, la structuration par la lumière et les nuances en demi-teinte. Techniquement, ces choix reviennent à abolir toute forme d’intervention esthétisante sur les images. Aux Etats-Unis, ce courant est soutenu par les photographes du groupe F-64 (nom d’un objectif de très haute précision). Edward Weston est l’un des plus fameux avec sa série de poivrons parue en 1930.
En marge des grands courants artistiques, certains photographes parviennent à acquérir une certaine reconnaissance par l’originalité de leur démarche. Edward Muybridge, qui émigra aux Etats-Unis à l’âge de 22 ans, est ainsi le précurseur du cinéma avec ses chronophotographies. Son approche est à la fois scientifique et esthétique. En décomposant un mouvement image par image, il parvint à animer la photographie. Ses animations les plus connues sont la séquence du cheval au galop et de la femme descendant des escaliers, tous deux réalisés en 1887. Son travail fut longtemps considéré comme une simple démarche scientifique mais de récentes études ont démontré la recherche esthétique dans le travail de cet artiste.
La photographie peut donc aussi être considérées sous un angle exclusivement esthétique par les photographes. Loin des préoccupations sociales et financières, ils permettent d’ériger la photographie au rang d’art. Mais plus encore qu’un autre art, l’art de la photographie est particulier en ce qu’il a de nombreux liens avec les autres arts.
B) Le rapport diplomatique de la photographie aux autres arts
En facilitant la transmission de l’information visuelle, la photographie a permis de nouer des liens importants entre les continents et les pays. Elle constitue en ce sens une véritable passerelle, en particulier dans le domaine artistique. Son rapport avec les autres arts l’enrichit sans cesse.
D’un point de vue artistique, la photographie peut s’associer à d’autres formes d’art sans pour autant perdre sa valeur artistique. Par exemple, Edward Steichen inaugura la photo de mode après la première guerre mondiale. Il travaille alors pour Vanity Fair et Vogue. L’une de ses photographies, celle de l’actrice Greta Garbo, datant de 1928 et parue en couverture du magazine Life le 10 janvier 1955, est considérée comme l’un des portraits inoubliables de l’actrice. La photographie sert la mode et la mode sert la photographie. Il y a une réelle réciprocité entre ces deux arts.
Stieglitz, lors de son exposition à New-York, expose des dessins de Rodin, Cézanne, Picasso et Matisse. Il permit de ce fait, de faire connaître à son pays les artistes européens. Mais plus encore, en photographiant la Fontaine de Marcel Duchamp, il fit connaître à son pays l’art moderne.
En plus de construire sa propre histoire artistique, la photographie a donc une influence non négligeable sur les autres arts et sur les rapports intercontinentaux qu’elle peut introduire.
La photographie peut donc aussi s’appréhender sous un angle esthétique. On peut ainsi distinguer une photographie « utile », c’est-à-dire au service de la mémoire, de l’histoire ou des mentalités, d’une photographie « inutile », dite autotélique. Ce qui, en plus d’enrichir le patrimoine culturel d’une nation, permet parfois des rapports diplomatiques entre pays comme nous venons de le voir.
Conclusion générale :
Si la fonction première d’un photographe est de transmettre l’information, tel Brady qui horrifia l’Amérique lorsqu’il exposa ses clichés de guerre civile, le photographe n’a pas toujours la liberté d’expression suffisante pour revendiquer l’utilisation à faire de ses clichés (surtout en temps de guerre). Ces derniers peuvent ainsi être détournés à des fins propagandistes ou tout simplement censurés. Au lieu d’informer, le photographe se voit alors pris dans la spirale de la désinformation.
Pour autant, à contrario de cette désinformation, il existe une véritable photographie engagée. Jacob Riis et Alfred Palmer furent ainsi deux figures de la photographie sociale américain. Leur talent fut mis au service d’une discrimination positive. En outre, la démocratisation puis l’institutionnalisation de la photographie rendit l’art « populaire » et donc de plus en plus accessible, que ce soit pour faire des photos ou pour les admirer dans des musées. Les photographes amateurs qui fleurirent un peu partout participèrent à former une photothèque des Etats-Unis forte utile à l’historien.
Encadré par diverses institutions, la photographie ne se laisse pas pour autant saisir facilement. Nombreux courants artistiques traversèrent ainsi le siècle qui sépare Lincoln de Truman. Si bien que l’on distingue les photographies dont la finalité est purement esthétique des photographies au service de l’histoire, de la mémoire etc.
Quoiqu’il en soit, l’art du photographe fait office de passerelle et sert les échanges culturels comme les échanges diplomatiques. Le photographe est alors selon les périodes et les circonstances un témoin de son époque, un pion dans l’échiquier politique, un journaliste, un artiste (engagé) ou un diplomate.
Sources :
Site regroupant les photos de Grabills :
http://www.andrewsmithgallery.com/exhibitions/johngrabill/johngrabill.html
Les archives du gouvernement américain sur la seconde guerre mondiale :
http://www.archives.gov/research/military/ww2/index.html
Un article sur la place du photographe dans la guerre :
http://www.arenes.fr/spip.php?article591
Quelques images censurées de la première guerre mondiale :
http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2009/12/23/ce-que-larmee-us-prefera-censurer-la-premiere-guerre-mondiale-un-portfolio/
Quelques photos de la guerre civile :
http://civil-war-uniforms.over-blog.com/2014/01/les-photos-de-la-guerre-de-s%C3%A9cession.html
Un article sur la naissance de la photographie sociale aux Etats-Unis :
http://erea.revues.org/1237
Un article sur la chronophotographie de Muybridge :
http://etudesphotographiques.revues.org/262
Un article sur Newhall et l’historiographie de la photographie anglophone :
http://etudesphotographiques.revues.org/714
Un article sur le photoreporter de guerre Jimmy Hare :
http://etudesphotographiques.revues.org/3110
Les évolutions techniques de l’appareil photographique :
http://evolution-photographie.e-monsite.com/pages/1-evolution-des-techniques.html
Un dossier sur l’émancipation de la photographie dans le monde :
http://expositions.bnf.fr/objets/dossier/03.htm
Un long dossier sur les raisons de la censure aux Etats-Unis durant la guerre :
http://www.fas.org/sgp/eprint/photos.pdf
Un article sur le livre Haunted Air :
http://fluctuat.premiere.fr/Societe/News/Halloween-au-XIXe-siecle-portrait-d-une-Amerique-hantee-en-20-photos-3880075
Chronologie dans les grandes lignes de l’évolution de l’appareil photo :
http://www.itisphoto.com/html/technique/etapes.htm
L’institutionnalisation de la photographie aux Etats-Unis :
http://www.jeudepaume.org/pdf/DossierEnseignant_Kertesz.pdf
Photographies de la Conquête de l’Ouest américain :
http://www.laboiteverte.fr/a-la-conquete-de-louest-americain/
Photographies couleurs de la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis :
http://www.modelbulb.com/photographie-couleur-de-la-seconde-guerre-mondiale-aux-usa/
Un article sur New-York et l’art moderne, centré sur Stieglitz :
http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-detaillee/browse/13/article/new-york-et-lart-moderne-alfred-stieglitz-et-son-cercle-1905-1930-4217.html?S=&tx_ttnews[backPid]=252&cHash=094e4cf7c6&print=1&no_cache=1&
Une grande collection des photos américaines du XIX au XXème siècle, avec galeries thématiques :
http://www.old-picture.com/theme-index-001-htm
Photos propagande de la Grande Guerre :
http://www.pinterest.com/asdm76/1914-1918
Un article sur l’emploi stratégique de la photographie pour le renseignement militaire :
http://rha.revues.org/7090
L’histoire de l’Amérique en photo avec catégories thématiques et chronologiques :
http://www.shmoop.com/history/photos/
La thèse d’un étudiant spécialisé en histoire de l’art sur le rôle des expositions dans la valorisation de la photographie comme expression artistique en France de 1970 à 2005 :
http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/76/49/66/PDF/Martinez_Leo.pdf
Un article sur les photos de la guerre 14-18 :
http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/centenaire-1914-1918/p-26725-1914-1918-visages-de-la-guerre.htm
Un article sur la censure et la propagande américaine en temps de guerre :
http://xroads.virginia.edu/~class/am485_98/lane/media/censor.htm
Une brève histoire de la photographie du XIXème au XXème siècle :
http://ww2.ac-poitiers.fr/ia16-pedagogie/IMG/pdf/Fin_XIX_debut_XX_histoire_photographie.pdf
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