Dissertation - Poésie - HK - 12/20
Dissertation - citation
Classe : Hypokhâgne
Matière : histoire
Note obtenue : 12/20
Année : 2012-2013 (12 avril 2013)
Devoir surveillé: 5h
Commentaire général du professeur :
Bon ensemble, parfois pas assez dense en exemples (c'est mieux à la fin). Le raisonnement est bien mené.
Sujet:
"La poésie commence lorsqu'un idiot dit de la mer : "on dirait de l'huile". Ce n'est nullement là une description plus exacte du calme plat, mais le plaisir d'avoir découvert une ressemblance, l'excitation d'un mystérieux rapport, le besoin de crier aux quatre coins cardinaux qu'on a vu ce rapport." écrit Cesare Pavese dans son journal, Le Métier de vivre, le 28 octobre 1935. Expliquez, discutez.
Pas de préambule ? Dans son journal Le Métier de vivre, le 28 octobre 1935, Cesare Pavese écrit "La poésie commence lorsqu'un idiot dit de la mer : "on dirait de l'huile". Ce n'est nullement là une description plus exacte du calme plat, mais le plaisir d'avoir découvert une ressemblance, l'excitation d'un mystérieux rapport, le besoin de crier aux quatre coins cardinaux qu'on a vu ce rapport". C'est donc lorsque quelqu'un voit un rapport entre deux choses mal dit et qu'il l'exprime à travers des mots que la poésie commence pour Pavese. La poésie commence dans l'image. Toutefois est-ce juste de penser que le langage devient poésie quand il image, compare, métaphorise ? Bien Pavese semble affirmer que oui. Mais si ce critère semble indispensable, à partir de quand le langage devient-il poésie ? N'y-a-t-il pas d'autres critères pour définir ce qu'est la poésie ? Problématisation un peu légère, creusez, opposez. Dans une première partie nous verrons en quoi la poésie semble commencer dans "la découverte d'une ressemblance, d'un mystérieux rapport", puis nous verrons que ce rapport est au service d'un message, d'une unité généralement mal dit et que pour cette raison n'importe qui ne peut pas faire de poésie, pour finalement essayer de comprendre l'essence de la poésie. Trop général
Il semble que mettre en rapport deux termes, deux choses différentes confère au langage une disposition poétique. Tout d'abord, parce que dans cette révélation, chacun des termes, dans une relation de réciprocité, donne une nouvelle existence à l'autre. Par exemple, Francis Ponge, dans Le Parti pris des choses, redéfinit à travers une prose poétique les objets en apparence les plus banals : l'huître, le cageot, le pain... En comparant le pain, et notamment la surface du pain, aux Alpes ou à la Cordillère des Andes, Francis Ponge propose une nouvelle vision du pain mais évoque aussi à travers cette comparaison une vision personnelle des Alpes ou de la Cordillère des Andes. En ce sens, lorsqu'une comparaison ou une métaphore souligne un aspect commun entre deux choses en apparence différentes, alors on peut dire qu'il y a bien une ébauche de poésie.
C'est probablement d'ailleurs pour cette raison que Pavese dit que "la poésie commence" et non que "la poésie [c'est] lorsqu'un idiot dit de la mer : "on dirait de l'huile". De la mise en commun de deux termes peut naître un poème mais un poème ne peut se limiter à "on dirait de l'huile". L'idée ou la découverte d'une ressemblance peut amener à une sorte d'ascension créatrice. On trouve que x ressemble à y et à partir de là on développe une structure complète de son impression : le poème. Chaque image est un potentiel poétique à exploiter finalement. Bien C'est dans la découverte du mystérieux rapport entre les hommes et les animaux que Jean de la Fontaine s'est mis à composer des centaines de fables. Comment ne pas voir à la fois une simple description d'un comportement animal et la métaphore d'une situation plus que vraisemblable chez les hommes dans le premier vers des deux coqs ? "Deux coqs vivaient en paix ; une poule survint / Ce fut la guerre allumée." Cette animalisation des hommes ou humanisation des animaux traduit donc bien une relation réciproque qui tend à confirmer que la poésie commence bien dans le rapport, la ressemblance, entre deux choses. (
Enfin, si le langage devient poésie dès lors qu'il met en relation deux termes, c'est aussi parce que le poète a le désir d'exprimer son impression, "le besoin de crier aux quatre coin cardinaux qu'on a vu ce rapport", dit Cesare Pavese. Or, étant donné que l'idée du rapport a déjà en elle-même un aspect subjectif, mystérieux, il semble évident que seule la poésie pourra prétendre à rendre compte de cet état d'âme. Parce que dans la relation même de notre esprit établit entre deux choses, il y a de l'insaisissable, seule l'écriture poétique pourra essayer de rendre compte de ce ressenti. Quand l'idiot dit de la mer "on dirait de l'huile", il esquisse donc l'ébauche d'un poème en attente. Exemple ? Trop vague.
Toutefois, dans son postulat, Cesare Pavese laisse penser que n'importe quel idiot peut faire de la poésie. Que la production poétique serait en fait indépendante de l'entreprise de l'auteur. L'idiot fait de la poésie sans s'en rendre compte selon lui. Or, cette conception est gênante dans le sens où n'importe qui ne peut pas être poète ; sans quoi jamais aucun grand poète ne se serait démarqué du lot. Si, comme le pense Pavese, le poète fait le nœud de liaison entre les choses mal dit, il est en revanche discutable de considérer que n'importe qui peut faire ce nœud. Dans la conception platonicienne de la poésie, Platon pense que les poètes ont reçu un don à leur naissance, que la poésie posséderait un caractère divin qui la mettrait alors bien loin de l'"idiot" pas forcément, l'idiot peut être inspiré. Verlaine rejoint en partie cette conception des choses puisque pour lui le premier vers est inspiré et les autres nécessitent du travail pour rendre honneur au premier. Dans ces conditions, l'idiot peut avoir l'idée du nœud de liaison mais pas la démarche pour y parvenir.
Par ailleurs, la finalité d'un poème n'est pas forcément dans le rapport entre deux choses, bien qu'on puisse se servir de ce rapport pour aboutir à une unité, transmettre un message. Reprenons l'exemple du Pain de Francis Ponge. L'auteur, lorsqu'il use d'images, le fait en réalité au service d'une seule finalité : redéfinir le pain. Il ne développe pas longuement les métaphores. Tous les poèmes de Ponge sur les objets du quotidien commencent d'ailleurs par un article défini ("le pain"), ce qui montre que le poème sert en réalité une seule et même chose. L'auteur évoque certes de mystérieux rapports mais ce ne sont pas ces rapports qu'il crie aux quatre coins cardinaux, c'est la synthèse de ces rapports : de qui est le pain pour lui donc. Une image ne suffit par conséquence pas à faire de la poésie.
De l'argument précédent résulte l'idée que la poésie n'est pas totalement désintéressée. La quasi-totalité des poèmes vise un objectif. Même les poètes de la Parnasse, partisans de l'art pour l'art, écrivaient... pour l'art. Or, dire de la mer "on dirait de l'huile", ce n'est pas écrire de l'art pour l'art car l'idiot n'entreprend aucune démarche artistique, il est passif. Mal dit Il n'a pas la volonté de créer une image. La poésie commence plutôt de l'idée d'un projet : d'abord aboutir au poème en lui-même, en être l'auteur et non l'acteur, puis un projet plus grand généralement. Par exemple Du Bellay dans son recueil de sonnets Les Regrets l'élégie, la louange ou la satire de ce qu'il a vu, connu, en évoquant sa nostalgie de Rome, son pays natal Ambigu. Ponge, lui, a pour objectif de donner un regard nouveau sur les objets du quotidien. Jaccottet, dans A la lumière d'Hiver, a pour projet de parler de la mort, de la consolation, de suivre un cheminement accompagné d'une réflexion métaphysique dans les poèmes du recueil. La poésie ne semble donc pas si désintéressée on ne voit pas bien ce que vous entendez par là et on peut se demander si dire de la mer qu'elle est de l'huile est vraiment une démarche poétique. Désintéressée, oui, c'est d'ailleurs ce que souligne Pavese, poétique, c'est un peu plus discutable.
Faire une métaphore ne signifie donc pas faire de la poésie. Car ce point de liaison doit partir d'une initiative ou d'une inspiration que le poète développera pour l'inscrire ou non dans un projet plus grand.
Tout ceci nous amène donc à redéfinir la poésie. Le langage devient poésie non pas parce qu'il met les choses en relation finalement (ce pourquoi on peut dire que l'idiot ne commence pas vraiment la poésie lorsqu'il compare mer et huile) mais parce qu'en plus de mettre les choses en relation entre elles, il les met aussi en relation avec lui-même. Le langage devient poésie à partir du moment où il est travaillé, façonné, étudié pour créer une sensation chez le lecteur. On ne saurait réduire la poésie à sa simple textualité, il faut y voir le métatextuel, inexistant dans l'exemple de Pavese. De même que "seule une machine peut apprécier un sonnet écrit par une autre machine" (Turing), seul un idiot peut apprécier un "poème" écrit par un idiot car l'idiot, comme la machine, n'ont pas la démarche artistique qui est nécessaire pour commencer la poésie.
Il faut donc un rapport entre les choses et les choses et les mots pour qu'un poème soit un poème. Tardieu considérait le poète comme un artisan des mots. Henri Michaux par exemple travaillait la relation entre sons et signifiants en inventant des mots aux sonorités crues comme dans le Grand combat : "Il l'emparouille et l'endosque contre terre [...] / Il l'écorcobalise...". Les sonorités (allitérations en r, k...) nous renvoient inconsciemment à d'autres mots qui nous font prendre conscience de la violence du combat. Par exemple, on peut penser qu'endosquer quelqu'un contre terre, c'est le jeter violemment sur terre et le voir tomber sur le dos. D'autres auteurs oublient totalement le rapport au réel et ne mise plus que sur les mots, quitte à créer des images surréalistes et à construire des poèmes plutôt hermétiques qui semblent pour le coup être conçu uniquement pour ce qu'ils sont (autotélique). Louise de Vilmorin par exemple a conçu un poème en vers olorimes, dont les mots entre eux possèdent "un mystérieux rapport" : "Etonnament monotone et lasse, / Est ton âme en mon automne, hélas !".
Enfin, la métatextualité et ce rapport du texte à lui-même est particulièrement évident dans les caligrammes. Le langage y dépasse la barrière des mots pour évoquer une expérience nouvelle. Panard par exemple a composé un poème, le Vin, dont les vers, par leur longueur et leur pagination, forment un verre de vin. Apollinaire va encore plus loin en composant un recueil entier de calligrammes dont celui-ci:
"é
cou
tez
tom
ber
la
pluie
si
douce
et
si
tendre [...]"
qui possède plusieurs "colonnes de vers" de ce genre et qui à terme reproduit le mouvement de la pluie. A la lecture, ce poème, par sa metatextualité (la pagination surtout), rend compte de la légèreté, douceur de la pluie. On en voit le mouvement, on suit la pluie des yeux avec le poète. Chose impossible dans une pagination normale. Ici le rapport est multiple. Les mots avec leur mise en page, les mots avec la pluie, les syllabes avec les mots.
Le langage devient donc poétique lorsqu'il a cette visée. C'est-à-dire lorsqu'il se détache de ce qu'il est d'habitude, lorsqu'il fait le trait d'union entre les choses dans un objectif particulier. C'est seulement par le travail que fournit le poète qu'une simple image devient poème et puis que le poème se lie à d'autres poèmes pour devenir recueil. Ainsi, le rapport entre les choses est généralement au service de l'unité pour le poète. Voir un rapport entre deux choses, c'est surtout une matière à travailler pour le poète. Car si son entreprise commence bien dans la découverte d'un mystérieux rapport, elle n'en aboutit pas moins à un autre rapport tout aussi mystérieux : celui des mots avec les mots (métatextualité inutile). Bien
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